La côte Est, c’est la zone froide ! La route des courants provenant du pôle Nord, tandis qu’à l’Ouest le Gulf Stream fait fondre la glace et réchauffe l’atmosphère, pour le bonheur du tourisme et de la majeure partie de la population. Accompagnés de nos deux fillettes et des amis canadiens croisés à Nanortalik, nous nous aventurons dans ces contrées désertes et grandioses.
Une cartographie quasi inexistante, quelques mouillages proposés par le guide Imray, une côte accore et déchiquetée composée de nombreux fjords et glaciers.
Du courant aussi malgré un marnage assez faible, de nombreux récifs et hauts-fonds ainsi que de la glace, icebergs, growlers et plaques en tous genres.
Pour finir, des risques de brouillard et aucun secours à proximité ni âme qui vive… tel est le programme des trois prochaines semaines, dans un décors fantastique.
Le coeur battant, nous quittons la station météo à l’Est du sound du Prince Christian pour faire route au Nord. Au large, aucun problème, tout se passe bien. Mais dès lors qu’on s’approche de la côte pour s’engager dans un bras de mer, les hostilités commencent.
Les fonds remontent parfois brusquement. Alors qu’aux Bahamas on peut naviguer des heures durant avec 2 à 3m au sondeur, ici on commence à stresser quand on voit 50m apparaître. Une fraction de seconde après, 20m, puis 10m… marche arrière toute ! On allume le sonar et on se fraie un passage entre les hauts-fonds en contournant les nombreux icebergs et growlers échoués à l’entrée des fjords.
Avec le temps, on s’habitue à la géographie des lieux. En général, le versant abrupte d’une haute falaise est sans danger, tandis que la pente douce qui termine une chaîne de montagnes est parsemée de hauts fonds. Ceux-ci peuvent être localisés grâce à une légère houle qui grossit ou déferle juste au dessus.
La présence d’icebergs dans une zone sans glacier est le signe qu’on peut entrer d’une manière ou d’une autre. Mais ce n’est pas suffisant pour trouver un abri car il n’est pas question de mouiller dans une eau profonde à proximité d’un gros glaçon.
C’est pour localiser le mouillage idéal, protégé de la houle et des gros growlers, que le sonar est incontestablement mis à profit. Il permet de détecter et franchir les hauts-fonds, ainsi que de scanner les zones de mouillage potentielles, constituées dans l’idéal d’un plateau dont les fonds varient entre 5 et 10m. Un petit 360° permet de s’assurer que l’ancre peut être jetée.
Ces techniques ont été utilisées pour nous introduire dans le havre de Kasanartok, notre première exploration d’une zone non documentée. Oleo sonde à l’avant tandis que nos deux amis nous suivent à la trace.
A l’entrée du havre de nombreux hauts-fonds nous obligent à dévier notre route puis plusieurs icebergs contraignent la flottille à raser la côte. Enfin nous arrivons dans une zone peu profonde, protégée du glacier et de toute houle. Nous y passerons une excellente nuit à couple de Blue Hour, batocopain canadien au mouillage de compétition.
Oleo a aussi franchi avec succès une barrière de glace large de 4Mn. Les gros glaçons s’écartent grâce à la forme en V profond de la coque mais la petite glace peut en revanche se retrouver dans l’hélice… une cage de protection comme celle que possède Vagabond, le voilier de Eric Brossier, ne serait pas de trop pour conserver une bonne vitesse dans un champ de petits glaçons.
Enfin, cette zone de navigation est soumise à un autre danger qui s’est brutalement manifesté par une explosion sur bâbord alors que nous naviguions tranquillement. Je tourne précipitamment la tête, aperçoit un gros cailloux noir à 2m du bateau. Mon coeur s’emballe, le cailloux se met à rouler pour se terminer sous forme d’une énorme queue de poisson… ce fut notre première rencontre avec les baleines de la côte Est.
Juste avant d’arriver à Tasiilaq, par une mer huileuse et une soirée brumeuse aux couleurs du soleil couchant, quelle ne fut pas notre joie de naviguer au milieu de dizaines de cétacés ! Autour d’Oleo, de nombreuses fumerolles, bosses et queues apparaissent et disparaissent.
Quelques frayeurs aussi quand certains de ces monstres, curieux, s’aventurent à côté d’Oleo. Notre bateau est bien petit et léger à côté de ces masses impressionnantes. Et ces queues beaucoup plus grosses qu’on ne l’imagine quand elles se manifestent de loin.
Notre séjour au Groenland se termine sur l’île de Storoe, à 62Mn NE de Tasiilaq, à couple de nos amis dans un mouillage parfaitement protégé, sans glace ni moustique. Le lendemain nous mettons à regret le cap direction l’Islande.
L’exploration d’une terre vierge et reculée est une sensation unique.
2 réponses sur « Naviguer sur la côte Est du Groenland »
Guillaume,
Je retiens mon souffle quand je lis tes péripéties.
Vas-tu publier tout ça?
Ou tout simplement repartir là ou personne n’est encore allé?
Bonjour Philippe. Oui, mon article est un peu dramatique. Il faut cependant préciser que nous avons eu très peu de brouillard, du soleil tous les jours et une mer plutôt calme, ce qui nous a permis d’expérimenter cette côte dans les meilleures conditions. D’autre part, nos amis Water Dogs et Blue Hour, respectivement un catamaran et un voilier en polyester, étaient souvent devant nous puisque plus rapide. Ils sont entrés dans plusieurs mouillages difficiles, ont navigué dans des zones pleines de growlers et s’en sortent avec un sans faute. Terre-neuviens d’origine, ils ont l’expérience des régions froides, sont très bien préparés et font preuve de beaucoup de prudence, c’est tout à leur honneur. Mais tu touches ma corde sensible, « naviguer là ou personne n’est encore allé », c’est un peu le fantasme du capitaine et pour notre plus grande joie, les filles ont adoré cette étape.