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En convalescence.

Depuis 12 ans que je navigue, je me suis promis de ne jamais déranger les secours. En d’autres termes, d’être prudent et de toujours me débrouiller par moi-même en cas de problème. Lors de notre départ de Sanna bay pour Arisaig, ce vœux a été brisé. Nous avons lancé un « pan pan pan » et j’ai été hélitreuillé vers Fort William.

Arthur dans notre mouillage entouré de récifs.

Le vent forcissant a tourné. C’est le signal pour lever les ancres. Notre mouillage étroit, parsemé de récifs, accuse un fetch de plus en plus important. Nous sommes bousculés par les vagues du vent, il pleut et la visibilité est réduite. Nous sommes mouillés à l’avant face à la plage et à l’arrière, afin de maintenir le bateau en place, entre les rochers affleurants qui bordent notre baie.

Nous avons accumulé de la fatigue, car nous devons jongler entre l’entretien du bateau, la veille, nos trois adorables enfants débordant d’énergie et plein d’autres activités. Cela aura certainement une influence importante dans le déroulement de ce qui va suivre. De même, peut-être, que mon excès d’assurance, car ayant toujours réussi mes innombrables manœuvres de mouillage, je n’ai pas jugé utile de relever l’ancre secondaire en annexe (ce que Anso aurait préféré que je fasse), opération qui nous aurait fait perdre beaucoup de temps et accumulé le désagrément de se faire secouer dans de mauvaises vagues, du vent et de la pluie, dans ce frêle esquif.

Malgré tout, afin que tout se passe bien, je répète plusieurs fois la manœuvre dans ma tête… Démarrer le moteur. Donner du mou sur le mouillage arrière, qui possède une aussière de 100m dont 70m de marge sur le bateau, bien rangée dans son sac, prête à être déroulée au fur et à mesure. Reprendre le mouillage avant en s’aidant du moteur. Puis reprendre le mouillage arrière par l’avant en maintenant le bateau face au vent.

Amarre du mouillage secondaire
L’amarre flottante du mouillage secondaire.

Le vent pousse le bateau sur tribord arrière. Je donne du mou et Anso se débrouille à la barre pour soulager le mouillage avant jusqu’à ce que son ancre soit haute et claire. L’aussière flottante du mouillage arrière se déroule comme prévu, mais je ne la reprends pas suffisamment vite et celle-ci se retrouve emmêlée au safran, qui ne réponds quasiment plus. Je me précipite à l’arrière pour tenter de démêler cette aussière et je finis heureusement par y arriver. Le bateau est en marche avant face au vent en direction de la sortie. En me débattant avec l’amarre du mouillage arrière, cette dernière s’est mise en vrac sur le passe-avant tribord. Il s’agit maintenant de reprendre le mouillage arrière et à ce moment là je pense que nous sommes a peu près dessus, le bateau immobilisé face au vent.

Je saisis l’amarre pour la reprendre, elle se déroule trop vite, mon pied droit s’emmêle dedans, elle se tend, une double boucle encercle ma cheville qui se plaque contre un chandelier. Entre le mouillage arrière solidement ancrée et les 20 tonnes de notre voilier, ma cheville subit une pression de plus en plus forte. Je hurle de douleur et à cet instant, craint soit de perdre mon pied, soit de me retrouver à l’eau suspendu à l’aussière. Au bout d’un temps qui me paraît interminable et pendant lequel la pression augmente continuellement, Anso finit par faire une grosse marche arrière qui détend l’amarre.

J’ai tellement mal que je ne peux plus rien faire sauf hurler de douleur. Anso démêle l’aussière de ma cheville. A bord c’est difficile… les éléments se déchaînent toujours, nous sommes encore dans notre mouillage bardé de récifs et l’aussière du mouillage arrière traîne toujours sur le pont. Tant bien que mal nous la larguons. Anso me demande quoi faire et j’ai un mal fou, avec la douleur, à répondre. Je finis par décider de nous ancrer dans le mouillage le plus proche au sud, qui est protégé du fetch. Heureusement j’ai étudié les fonds et connais parfaitement la position des récifs. Je guide Anso dans la passe, puis avant d’arriver sur la petite plage on bifurque à l’Ouest dans la zone protégée. Mon pied meurtri me fait horriblement mal et je suis toujours en train de hurler de douleur. Je me traîne à l’avant pour envoyer le mouillage avant. Je suis heureusement encore assez lucide pour guider Anso afin d’immobiliser le bateau dans une zone protégée. Mécaniquement, j’exécute toutes les actions nécessaires pour mettre l’ancre à l’eau, j’envoie 30 mètres de chaîne et me traîne dans le cocpkit puis dans le carré.

Je peux maintenant hurler en toute sécurité. Nous hésitons sur la procédure de sécurité à adopter. Mon pied n’est vraiment pas beau, retirer ma chaussette est une épreuve horrible. Comme nous n’avons pas de réseau téléphonique et que nous ne sommes pas médecins, nous prenons la résolution de lancer un « pan pan pan ».

L’intervention de la RNLI aura été exemplaire. Je suis à côté de l’ordinateur de bord et je peux ainsi suivre l’arrivée de la vedette de secours depuis Tobermory. Malgré sa grande vitesse (25-30 nœuds), l’attente me paraît interminable. Je les vois ralentir devant la baie, certainement pour faire un point sur l’atterrissage. Je ne me souviens pas si nous leur avons communiqué des informations sur la géographie des lieux, seulement que je suivais avec beaucoup d’intérêt leur trace en espérant qu’ils ne s’approchent pas trop des récifs et qu’ils finissent par nous atteindre.

Anso prépare la mise à couple. Ce fut un immense soulagement pour moi d’entendre le ronronnement de l’énorme moteur de la RNLI, puis les manœuvres d’amarrage. On me prends en charge en me faisant respirer un gaz qui soulage ma douleur. Etre entouré de gens bienveillants me donne la force de me lever puis de me rendre à cloche pied dans le bateau des secours. On m’immobilise et on largue les amarres. Anso a eu la (très) bonne idée de préparer mon sac avec quelques affaires.

Le bateau bouge beaucoup, je suis shooté, heureux d’être pris en charge et inquiet pour la suite des opérations. La vedette s’arrête en pleine mer, un hélicoptère largue un médecin qui décide de me mettre un harnais… je demande si c’est vraiment nécessaire, on me réponds que « oui, c’est plus rapide ». Le médecin regarde mon pied, puis hésite entre Fort William et Inverness… je lui réponds que « Fort William, it’s enough ». L’hélitreuillage est une expérience unique pour qui aime les sensations fortes… comme moi. Et effectivement, le trajet en hélicoptère puis en ambulance s’avèrent très rapides.

Attelle suite à l'hospitalisation
Attelle suite à l’hospitalisation.

A l’hôpital de Fort William, on m’ausculte et on trouve mon pied « pas beau ». Cependant les rayons X révélerons que ma cheville n’est pas cassée. Les tendons ont pris cher, la peau aussi. Je suis partagé entre le regret d’avoir mobilisé un tel déploiement de moyens pour une cheville qui n’est pas cassée et le soulagement de ne pas avoir à être opéré pour une blessure grave. Je m’en sors avec un bardage de pansements, une attelle et des béquilles. Le soir-même, on m’expédie à l’hôtel et je me débrouillerai le lendemain pour rentrer à Tobermory par bus et ferry.

Retour à Tobermory auprès de ma famille.
Retour à Tobermory auprès de ma famille.

Nous restons trois jours à Tobermory. Nous sommes très bien entourés et avons de nouveaux amis. Je souffre encore mais je peux me déplacer et me rendre utile.

Hannabi à couple de Arthur à Sanna bay... avec une ancre secondaire.
Hannabi à couple de Arthur à Sanna bay… avec une ancre secondaire.

Tant et si bien que nous décidons d’aller chercher le mouillage arrière qui est resté à Sanna. Sa récupération demandera plusieurs essais avec nos amis sur leur 6.50 « Hannabi », qui sont sur place depuis la veille et viendront se mettre à couple de Arthur. Notre mouillage enfin récupéré est mis à contribution sans attendre comme ancre secondaire… que nous récupérerons naturellement en annexe, avec beaucoup, beaucoup de précaution !

Nos amis sur leur 6.50 Hannabi
Nos amis sur leur 6.50 « Hannabi ».

Nous passons un très bon moment avec Océane et Constantin. Ils nous font essayer leur petit voilier qui va aussi vite qu’Arthur… mais ma cheville n’aime pas ce traitement musclé et va me le faire payer.

Une activité un peu trop intense pour ma cheville...
Une activité un peu trop intense pour ma cheville…

La douleur revient, mon pied enfle, je ne supporte plus l’attelle. Au lieu de courir comme un cabri, j’aurais mieux fait de me reposer. C’est ce que nous décidons de faire définitivement, en levant l’ancre pour Arisaig, un mouillage protégé de toute part avec un petit village. Aujourd’hui, l’objectif est le repos pour 2 à 3 semaines et la préparation de la suite du programme.

Chouette ! Je cours plus vite que papa :-)
Chouette ! Je cours plus vite que papa 🙂

En sus de cet épisode, notre objectif de nous rendre au Nord cette année est empêché par la ligne d’arbre de notre voilier, de moins en moins étanche. Cette expérience de navigation jusqu’en Ecosse avec Arthur nous permet de noter tout ce qui nous manque pour partir définitivement, en toute sécurité et autonomie, vers des contrées lointaines et isolées. Même si ce n’est pas encore pour cette année, nous sommes bien résolus à faire de nos expéditions au Nord une réalité.

L'activité "musée" est tout de même plus raisonnable.
L’activité « musée » est tout de même plus raisonnable.

16 réponses sur « En convalescence. »

Merci François. La suite est tranquille pour l’instant, on en profite pour bosser avec nos ordinateurs ;). Encore merci pour ta visite à Arzal qui nous a fait très plaisir.

Kura ora les Arthur,
Je vous souhaite un bon rétablissement suite à ce tragique accident. En espérant qu’il n’y ait pas trop de séquelles.
Un accident est vite arrivé dit-on. Les plus chanceux d’entre nous passent au travers de cet adage.
Bon repos et récupération, l’aventure continue et il s’agit d’en profiter pleinement.

Salut JF et merci. Il ne devrait pas y avoir de séquelle si je laisse bien mon pied se reposer. En effet un accident est vite arrivé et il ne prévient pas. Suite à cet épisode, quand on fait des manœuvres difficiles malgré la fatigue, on redouble de prudence et on préfère les choix plus sûrs même s’ils sont plus longs. Il faut dire aussi qu’Arthur est 3 fois plus lourd qu’Oleo, ça compte. Profite bien du pacifique et de ses îles.

Arisaig 2013. Un bon abri où j’ai quand-même subi un coup de huit pendant plusieurs jours mouillé sur deux ancres.
Bon rétablissement à toi dans ce décor écossais sympathique mais parfois rude.
Amitiés à Anne-Sophie.
Bisous aux enfants.

Merci Régis et Michèle. Arisaig est un très bon abri en effet, avec des commodités, parfait pour y passer quelques jours. Au bout de plusieurs semaines cependant on aimerait lever l’ancre ! On le fera certainement en début de semaine. Amitiés

Salut Jérôme, en effet. J’ai voulu faire encore plus « chaud patate » en mettant une photo de mon pied mutilé. Mais Anso n’a pas jugé cela très pertinent et à vrai dire, elle a certainement raison ;). Merci pour ton message, à bientôt.

moi, j’ai choisi une activité tranquille…. me faire chouchouter avec mon covid et écouter des histoires de marins fous qui s’entraînent à expérimenter de nouveaux nœuds.

Argh, ce Covid qui vient et revient… Oui, il y a des nœuds à faire et à ne pas refaire 😉 Maintenant quand je vois un cordage traîner j’ai des frissons aux pieds !

Bonjour Guillaume et Anne-Sophie,
Retour à terre après 2 mois de nav (Ecosse, Orkney), je viens de découvrir votre « fortune » de mer, heureusement pas trop gravissime pour Guillaume (Je pense à Alain Colas … sur Pen Dick 4 / Manureva), et sans dommage au bateau, ni aux enfants !
Bravo pour la résilience de Guillaume, au sang-froid d’Anne-Sophie, et à la RNLI !
Bon repos à tous et bonne cicatrisation à Guillaume.
Comme vous, nous avons exploré toute la gamme météo du petits temps à force 9, avec froid et humidité en Mai, coups de vent en juin
qui nous ont bloqués à Bangor, puis Ardglass : Gale 9, le ponton principal a cassé et coulé en partie !
Timshell avait triplé ses amarres ! mais quand on aime l’Ecosse on y retourne !

De très bon moments à Pierowall (Westray), Jura, Islay (coffre devant Lagavulin) … Scillies arrivés de concert avec Be Happy (Bateau Vannetais) rencontré à Pierowall, puis avec qui nous avons fait route commune. Que se poursuivent vos projets, amicalement Bruno et Catherine
http://www.thedownrecorder.co.uk/pages/?title=Gale_force_winds_collapse_walkway_at_Ardglass_marina

Bonjour Bruno et Catherine, merci pour votre message et vos nouvelles ! Impressionnant le ponton de Ardglass… on a hésité à passer par ce petit port lors de notre progression vers le nord mais avec notre gros voilier ça nous a semblé risqué. On vous fait signe si on passe par Brest. Amitiés

Salut les amis, merci. On s’en remet très bien et nous en tirons les leçons qu’il faut pour devenir plus prudent et opérationnel ;). Bises à vous tous

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