Oléo s’éloigne de la charmante petite ville de Roundstone un matin, juste après le passage d’un coup de vent. De mon point de départ jusqu’au large de « Kilkee » (au Nord-Ouest de la rivière de Shannon) les conditions de navigation sont idéales.
La mer est calme et j’arrive à progresser vers l’Est, ce qui compte tenu des prévisions n’était pas gagné d’avance. Le régime anticyclonique et les effets du relief environnant génèrent des vents changeants dont la force peut évoluer d’un seul coup.
Bref, tout va bien dans la mesure ou l’on s’adapte. Mais c’est maintenant que les surprises commencent.
Je navigue au travers babord amure avec un vent d’Est quand tout à coup le vent tourne. Ok : ajustement des voiles. Puis j’ai à peine le temps de préparer un virage que souffle un vent d’Ouest totalement inattendu… avez-vous déjà viré de bord sans changer le cap d’un degré ? En ce qui me concerne c’est chose faite !
Entre temps j’aperçois sur ma route un casier doté de sa bouée rose et d’un orin. Pour prendre une photo je m’approche jusqu’à apercevoir le bout flottant qui relie la bouée au piège qui se trouve sous l’eau. Oléo passe dessus tout doucement, le cordage passe facilement sous les quilles mais reste bloqué par le protège-safran. Un coup de gaffe sera nécessaire pour le dégager.
Peu après une pétole complète s’installe, mais heureusement la mer est plate. Je me sens comme dans un bon mouillage : bateau immobile, avec quelques oiseaux et dauphins qui me tournent autour. Deux heures après je décide de pousser 10 minutes au moteur, mon vent d’Ouest (pas du tout prévu par la météo) forcit pendant 2 heures et me revoilà dans la pétole au large de la baie de Brandon.
La nuit passe sans vent. J’ai juste une grand voile qui déplace légèrement le bateau au passage de rares brises. Sur ma mer d’huile, j’entends parfois le léger frottement de l’eau contre l’étrave, un bruit agréable comparable à un souffle.
Le lendemain, mauvaise nouvelle : vent de Sud. Je tire des bords interminables jusqu’aux Blaskets où mes compagnons les dauphins m’accompagnent. Je suis dans le sound, entre les îles, à l’extrème Sud-Ouest de l’Irlande quand le vent commence à se faire menaçant.
A la sortie des Blaskets j’assiste à un spectacle intéressant de la part des fous de bassan du coin. Je ne sais pas ce qui se passe dans la mer, mais tel des fusées ces oiseaux se précipitent dans l’eau tous ensemble, au même moment et au même endroit. Chaque salve est accompagnée d’un concerto de « splash », comme un ébouli qui termine dans la mer. Lorsque j’ai correctement réglé mon appareil photo pour prendre une nouvelle salve… tout s’arrête. Pas de bol.
Le temps se dégrade encore. Un souffle de Sud-Est m’empêche d’avancer vers Valentia avec un début de pluie. La météo prévoyant un vent de 10 à 15 noeuds, j’avais retiré la trinquette que je ré-endraille à toute vitesse. La pression tombe et j’avance péniblement vers le sud en zig-zag.
Deux heures plus tard, il y a tellement de fardage, de vagues et de courant contraire que je ne peux plus avancer. Je vire de bord une dernière fois en me disant que « peut-être ça ira mieux dans l’autre sens » mais pas du tout, je recule ! Démarrage forcé du moteur. Je choisis un régime qui me permet en principe d’avancer à 6 noeuds mais je n’en fais que 3 avec quelques pointes à 4 quand les vagues se calment.
L’enfer commence à l’approche du phare de Valentia. L’île et le relief de la côte forment une cuvette telle que le vent atteint une force incroyable. Je ne crois pas beaucoup me tromper en évaluant sa vitesse à environ 50 noeuds. Un brouillard épais et une pluie serrée s’abattent sur moi au même moment, j’ai l’impression que les éléments veulent à tout prix m’empêcher de passer.
Posté à la barre, je suis tétanisé, trempé et frigorifié au moment de franchir la passe dont j’aperçois à peine le feu d’alignement. Le vent hurle et la pluie m’attaque tellement les yeux que je suis contraint de les protéger avec ma main et de m’en servir seulement de temps en temps pour checker ma position. Cela dure des plombes et malgré un bon régime moteur j’avance à moins de deux noeuds. Mais ça passe et je peux enfin finir de préparer mon atterrissage.
Dernière épreuve : arriver à s’amarrer seul dans ces conditions. A mon grand regret le coup de vent se maintient au moment où j’arrive au quai. Je décide de prendre l’unique place abordable dans de telles conditions, située parallèlement au flux d’air. Je manoeuvre face au vent et c’est pas facile car au moindre écart Oléo se met à virer violemment à cause de son fardage. Rétablir la position du bateau nécessite de pousser le moteur à fond.
Il me faudra pas moins de 10 minutes pour approcher le ponton, centimètre par centimètre. A ce moment là les pare-bats s’écrasent litéralement contre le bord et il me faut un régime moteur constant de 1800 t/m pour « immobiliser » le bateau contre le quai, sauter, attacher fébrilement l’amarre centrale puis se précipiter sur l’amarre avant. Cette dernière s’est tellement tendue au moment où je mets le point mort que j’ai l’impression qu’elle peut lâcher.
Heureusement je m’en sors sans casse. Je multiplie les aussières pour soulager l’amarre avant. La pression tombe, je suis fatigué et trempé. Peu après j’ai le grand plaisir de revoir Paul qui aidait les propriétaires de hors-bords à protéger leurs biens contre ce coup de vent.
Il était temps car la nuit tombe. Ce soir là je me fais plaisir avec un bonne omelette aux champignons. A la radio j’écoute une prestation de musique irlandaise sur fond d’orchestre que je trouve absolument fabuleuse. Qu’il est bon de se reposer après tant de sport !
Deux jours après tout va bien. Les dépressions passent rarement au Sud de l’Irlande mais aujourd’hui c’est effectivement le cas. Comme on peut le voir sur l’image ci-dessous, ce n’est pas encore le moment de revenir en France, j’attends donc patiemment qu’une fenêtre météo plus favorable s’ouvre.
2 réponses sur « De Roundstone à Valentia »
Eh bien, pour une fois je crois que je suis contente de ne pas avoir été sur le bateau ! Heureusement que tout s’est bien terminé !!! Je te souhaite un excellent anniversaire en terre irlandaise 😉
Que d’émotions … un vrai film. Je t’imaginais dans la tourmente !
Je te souhaite un bon retour vers la France quand ce sera le moment.