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Articles d'Anso Atlantique 2015 Voyages

La transat’ vue par Anso

Les 5 ou 6 premiers jours, on les comptent, les suivants ne comptent plus. Les jours se confondent et se fondent en une seule et même longue journée qui n’en finit plus. Hors du temps, hors du monde, un océan sous nos pieds, une immensité sur nos têtes. Les alizés, la route du sud, la route de rêve dit-on, vraiment ?

On nous avait promis un vent constant, portant, une mer ample et large, longue et belle, qui soulèverait le bateau doucement comme une mère berce son enfant. On a eu une houle arrière et travers, courte, changeante et capricieuse. Oleo a roulé, la vaisselle a valdingué, les gestes les plus simples sont devenus compliqués.

Le matin, à un moment t’es comme un con, la bouteille d’eau minérale ouverte dans une main, le biberon plein d’eau ouvert dans l’autre, les hanches calées sur le bord de l’évier pour éviter de valser à chaque vague. Il faudra bien fermer tout ça. Tu retiens ton souffle, poses le biberon ouvert, le reprends deux trois fois en main au coup de roulis, le reposes et attends les six secondes de flottement entre les vagues pour attraper prestement le bouchon de la bouteille, la fermer et la poser dans l’évier pour éviter qu’elle ne s’écrase par terre. Enfin, avec ta main libre, tu attrapes le pot de lait, tu comptes huit cuillerées dans le biberon, une fois, deux fois tu rebondis à un chaos contre le rebord de la table et ta hanche bleuies un peu plus chaque jour mais le biberon est prêt, ta fille va cesser de hurler sa faim.

Il y a de quoi faire quatre pas dans le bateau, un dans le cockpit. Du reste, on ne tient pas beaucoup debout, ça bouge trop. On alterne les endroits pour jouer : dans la couchette avant, par terre devant la descente, sur la banquette du carré et dehors dans le cockpit. Chaque jour, on fait un peu de gommettes, de chansons, de la lecture, des bulles de savon, de l’origami, de la dînette, des calins. De temps en temps, des cabanes, du pop-corn, des décorations de Noël, des gâteaux, des dessins animés.

Dehors, Guillaume met les lignes de pêche à l’eau le matin tous les deux jours environ pour ne pas se lasser. La deuxième dorade coryphène qui s’est fait prendre pesait 7kg500. Comme Axelle a peu d’appétit, ça fait beaucoup de poisson pour nous autres. Certains jours, c’est le requin qui nous suit qui dévore la dorade avant qu’on la remonte sur le bateau. Quand elle est pour nous, le plus gros du travail n’est pas de l’attraper, mais de la préparer.

Pour le moment, la dorade fraîchement sortie de son milieu n’est pas contente. La bête mesure plus d’un mètre, elle fait des bonds dans le fond du cockpit à en faire pleurer Charlie. Sa belle couleur turquoise a viré au jaune, à force de se cogner, des éclaboussures sanglantes apparaissent sur le fond blanc du bateau.

Il faut l’achever. On tente la technique du bouchon de rhum dans l’ouïe, la moitié se répand à côté, quel gâchis ! Enfin, la peau de notre poisson vire au gris et les bonds cessent définitivement. Armé d’un grand couteau pointu, Guillaume tranche l’énorme tête de la bête. Le sang ruisselle quand il l’éventre pour en retirer les entrailles qui retournent à la mer.

A grand renfort d’eau salée, le poisson est lavé avant d’être soigneusement découpé en filets. On en mange en papillote au barbecue, poché au curry, en ragoût à la cocotte, grillé à la poêle, ne pourrait-on pêcher un steak de temps en temps ?

Soit dit en passant, notre technique de pêche s’est améliorée. L’acharnement de Guillaume y est pour beaucoup. On ne saurait trop définir de règles pourtant. Le poisson a avalé des petits leurres, des leurres moyens et même des plutôt gros. Des leurres maison, des leurres pas chers, des leurres perfectionnés. Il a mordu le matin, à midi, à la tombée de la nuit. On en a eu avec une ligne à l’eau, avec deux aussi. Certains ont croqué des hameçons trident, d’autres des gros hameçons double. Il semble que les poissons hauturiers crèvent tellement la dalle qu’ils bouffent n’importe quoi !

Les douches et les bains tous les deux ou trois jours dans le cockpit. Ce n’est pas du luxe, il fait 28, 29° la journée, on marine dans notre jus et ça se passe de commentaire. On tire des seaux d’eau de mer, ce n’est pas une mince affaire avec le roulis et la vitesse du bateau. L’eau est bonne, un peu fraîche mais agréable. Les seaux se baladent dans le cockpit au gré des vagues, on perd la moitié de l’eau. Idem dans la baignoire des petites qui se vide à chaque mouvement du bateau. Rinçage à l’eau douce chauffée par le soleil, un pur instant de plaisir.

Quand le vent forcit, on prend des ris. Sans rire, c’est du sport. Voyez 20-25 noeuds de vent arrière, quelques petites rafales en prime, Oleo surfe sur une mer bien formée. On atteint facilement les 7 noeuds, on monte même à 8 ce qui n’est pas rien. Le gréement souffre un peu, on l’entend vibrer. Guillaume réduit d’abord le génois tangonné. Je surveille du cockpit quand il va sur les passes libérer l’écoute frappée au taquet afin d’enrouler la voile. Faut dire qu’on roule à mettre le franc bord dans l’eau parfois. Ensuite, je prends la barre pour amener le bateau face au vent. La grand voile descend sur son rail jusqu’à bonne hauteur. Guillaume au pied de mât prend le troisième ris puis étarque de nouveau de toile. Je reprends le cap pendant que Guillaume déroule un peu de génois. Oleo court sur les flots à 5 ou 6 noeuds, avec la houle qu’on a, c’est bien suffisant.

Il y a des moments où on est bien. A quatre dans le cockpit, protégés du soleil par une toile, le vent nous rafraîchit. Guillaume presque allongé sur le coussin vert tient Charlie sur les genoux. En face, Axelle s’agrippe à mon cou. Elle pousse de petits cris en regardant les vagues. On a sorti du sirop de menthe pour choupette, des gâteaux apéro, le rhum de Santo Antao. Dans les mains de papa, doudou fait des grimaces et des mines pour faire rire les enfants.

Ou bien dans la couchette avant, Axelle se suspend au hublot pour regarder dehors tandis que Charlie se cache sous un pareo et fait le fantôme. Allongée avec elles, je lis pour la douzième fois Orgueil et Préjugés ou Jane Eyre. Comme je les connais par coeur, les interruptions des petites ont peu d’importance.

Le soir, je me creuse la tête pour faire le repas. Les légumes frais ont été terminés le dizième jours, il reste une poignée de fruits. Maintenant, on fait avec les stocks. A midi, c’était une omelette avec des haricots et de la semoule, ce soir, ce sera du riz à la provençale avec du thon, des olives et de la sauce tomate. On a fait du pain cet après-midi, le bateau embaume encore la bonne odeur de la mie chaude.

Personne n’est malade, c’est la bonne surprise de la transat’, il en faut une. Malgré la houle, le vent, les vagues, pas de mal de mer passée la première journée. J’ai mis un patch les trois premiers jours, puis plus rien. De temps en temps, des maux de tête m’enserrent le crâne à cause des mouvements du bateau, ça donne aussi de légers vertiges, mais rien d’handicapant.

Ce qui est plus gênant, c’est l’odeur des poubelles. On peut jeter aux poissons nos déchets alimentaires. On s’est aussi débarrassés avant le départ d’un grand nombre d’emballages superflus. Il n’en est pas moins vrai que nous en sommes à trois sacs bien ventrus.

La faute aux couches bien sûr. Charlie est propre la journée, fort heureusement, mais Axelle est loin de l’être. Des raisons techniques dont j’éviterai de vous faire la représentation par le détail nous ont contraint à remettre à plus tard l’utilisation des couches lavables avec elle, les couches sales s’entassent donc en attendant l’arrivée. Les effluves en devenaient tellement insupportables que les sacs sont maintenant ficelés en pieds de mât.

Il est 7 heures du matin, Guillaume dort après la veille de la nuit. Les filles jouent tranquillement au pied de la descente. Dehors, bien calée dans le coussin vert, je bois mon café. Il fait 26° mais le vent est frais. Une douce lumière illumine la mer, le soleil du matin est un peu caché derrière un nuage. Je suis bien. Si la transat’ ce n’était que ça, ce serait parfait, mais bon sang ce que c’est long d’attendre le nouveau monde.

16 réponses sur « La transat’ vue par Anso »

En effet, les dernières heures, on a ralentit pour entrer au mouillage de jour, 10 heures de navigation supplémentaire, plus on réduisait la toile, plus le désir d’arriver était fort 🙂

Merci, c’est sûr qu’on fait pas une transat’ tous les jours, et heureusement ! Mais c’est une expérience qui en vaut la peine. Bisou

A vous quatre,

Quel plaisir de vous voir. Les filles semblent tellement épanouies ! Je pense bien à vous et vous suis toujours aussi régulièrement. Merci pour les vidéos de la traversée. C’est superbe.

Je vous souhaite à tous une très belle année 2016. Profitez bien de la vie.

Plein de bises à tous. Véro

Bonne Année 2016 à toi Véro ! On est arrivés aux Saintes et on profite bien du soleil, de l’eau, des copains, du rhum. On pense bien aussi à tout ceux qui sont restés en Métropole. Je te souhaite une excellente nouvelle année remplie de belles choses. Biz

Salut Sigrid, l’écriture devient un vrai passe-temps. Un des rares avec la lecture qui soit compatible avec le bateau. J’aimerai avoir plus de temps à lui consacrer ! Bisou

Quelle aventure ! Je t’imagine tellement avec ton biberon dans une main et dans l’autre ta bouteille d’eau comptant les secondes entre deux creux de vague … Ah la vie de marin c’est pas simple ! Profitez bien de la terre ferme encore un peu et nous vous souhaitons beaucoup de bon vent pour 2016

AR VAG et son Equipage (ponton L), vous souhaite ainsi qu’a Aqua Vitae une très très belle année 2016.
Que cette magnifique aventure ,que nous suivons avec beaucoup de bonheur et d’envie, vous apporte tout ce dont vous révez et là, le reve est bien reél.
On continu en silence de vous suivre.
Merci pour toutes ces splendides images et textes.
Amitiés de la Baie des Veys qui doit vous paraitre bien lointaine.

BONNE ANNEE !BONNE SANTE!BON VENT!

Véronique/Christian

Un grand merci pour vos voeux ! Tout l’équipage d’Oleo vous souhaite également une excellente année 2016 et de belles navigations dans la Baie des Veys et ailleurs. Ce n’est pas sans nostalgie qu’on pense à nos balades en mer dans la Manche et au port de Carentan qu’on aime beaucoup.
Oleo’s team

bonsoir à l’équipage d’oleo . oui çà un bail déjà depuis le mois de janvier 16 ,j’ai lu vos aventure de voyage très cool et sympa .et ça fait rêvé bien sur tout ça !!!!!!
a un moment toute foi ,l’histoire des sacs de déchets ma interpelé à savoir si j’ai bien compris les emballages de conserves et bouteilles en verres finissent comme vous le dite au font de la mer à 4000mille m ou 10 000 mille m ,mais pour moi c’est du grand n’importe quoi la mer n’est pas une poubelle même à ces profondeurs ,le faite de compacté le métal et ont à le temps ou pilé le verre et stocké ça dans des récipients style bac et vidé aux escales c’est tout de même mieux . mon dieux si tout le monde fait ça sur les traversées quelles honte aux voileux .ont c’est tous qu’un petit rien fait beaucoup .

Bonjour. Je comprends votre sensibilité quant au respect de la mer et vous remercie d’apprécier notre voyage. Si cela peut vous rassurer, nous avons exactement ce même souci de maintenir propre la mer et à ce titre, je me permet de vous rassurer par quelques précisions que vous interpréterez comme vous voudrez. Nous n’avons jamais jeté à la mer quoi que ce soit de polluant. Exceptionnellement pendant la transat (ce n’est pas systématique et nous n’avions pas le choix, c’est pourquoi je me suis permis de retirer ce détail du texte), nous avons mis à l’eau un peu de fer et de verre, le premier se dégrade rapidement sans se retrouver dans l’estomac des poissons, le deuxième est lui aussi non polluant, le tout est largement moins nocif que ne faire une transat avec un bateau à moteur. Si cela vous a choqué alors pardon.

Cependant nous nous sommes longuement renseignés avant de partir en mer sur ce qui est toxique et ce qui ne l’est pas. Ce qui pollue la mer puis se retrouve dans les poissons et nos assiette sont incontestablement le plomb, les hydrocarbures et surtout les matières plastiques dont les fonds de la plupart des bords de mer, notamment au cap vert et aux Antilles, sont malheureusement jonchés. Nous avons ramené beaucoup de ces matières plastiques dans de vraies poubelles pour une participation active au nettoyage des océans. D’autre part, notre bateau fait d’aluminium et traité au zinc est 100% non polluant contrairement aux bateaux en plastique avec des antifouling érodables, voir aux très nombreux chalutiers de certains pays qui sont encore traités au plomb.

Autre problème que nous avons vu en mer et qui nous a horrifiés : un grand nombre de zones de pêche n’en sont plus, parce qu’il n’y a plus de poisson à cause de la surpêche. Il faut vraiment le voir pour le croire. Dans le grand nord en revanche, d’énormes chalutiers-usine détectent le poisson par satellite et pillent sans retenue les mers froides dont l’écosystème est extrêmement fragile, ce afin d’alimenter les supermarchés des gens bien intentionnés, qui ne voient pas quel problème il y a à acheter du poisson puisqu’il y en a toujours eu à profusion depuis des années.

Pour conclure, je suis persuadé que notre passage sur l’océan a été au final bénéfique pour la mer et ses habitants et à ce titre nous n’avons aucune « honte » à avoir, n’en déplaise aux donneurs de leçon qui mangent du poisson presque tous les jours et ne font rien pour améliorer le sort de la mer. Si sauver les océans vous tient à cœur, ce qui est 1000 fois louable, pourquoi pas lire le livre de Paul Watson et agir concrètement pour le bien-être de la faune et de la flore marine ?

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